N°30 - J'veux qu'on baise sur ma tombe

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Ma créature
2 min ⋅ 10/07/2025

Londres, 27 août 2022

Mon petit fantôme,

Hier, j’ai visité la tombe de la mère de Mary. Dans le cimetière de l’église St. Pancras. Cinq minutes à pied de la gare (ou quinze quand les roues de ta valise sont foutues).

Le cimetière est enclavé aujourd’hui. Pris entre les voies ferrées, les routes. Écrasé par le bruit. Un îlot de silence, étouffé par le grondement de la ville. Il faut vraiment le vouloir, pour trouver la tombe. Même avec le plan à l’entrée, j’ai tourné un moment.

C’est dommage qu’elle soit tombée dans l’oubli. Mary Wollstonecraft, ce n’est pas n’importe qui; c’est la fondatrice du féminisme moderne. Sur sa pierre, on peut lire :

Mary Wollstonecraft Godwin, Author of A Vindication of the Rights of Woman: Born 27 April 1759: Died 10 September 1797

Et puis, il s’en est passé, des choses, autour de cette tombe…

C’est là que Mary retrouvait Percy en cachette. Là qu’ils se sont aimés pour la première fois — peut-être. On ne sait pas très bien qui a fait le premier pas. Selon Percy, c’est elle. Mais selon Mary, c’est lui qui lui « ouvrit tout son cœur, d’abord avec la confiance de l’amitié, puis avec l’ardeur de l’amour. »

Le soir du 26 juin 1814.

Clairement, ils ne faisaient pas que lire des poèmes…

Sur mon cœur, tes accents doux
De paix et de pitié tombaient comme la rosée
Sur des fleurs à demi mortes ; — tes lèvres ont rencontré
Les miennes en tremblant ; tes yeux noirs ont lancé
Leur douce persuasion sur mon esprit,
Chassant son rêve de douleur

— Percy Bysshe Shelley (1814)

Certains biographes prétendent que leur fille — celle dont je t’ai parlé, morte à peine née — a été conçue ce soir-là, ou au matin suivant.

Dans ce coin discret au nord-est du cimetière de St. Pancras. Ombragé par des saules. Près de la tombe de Mary Wollstonecraft.

Là où le désir, le deuil, la mémoire et l’interdit se sont mêlés une première fois.

Fantaisie ? Mythe romantique ? Peut-être.

C’est une scène étrange, oui. Mais cohérente.
Faire l’amour sur la tombe de sa mère.
Comme si Mary voulait mêler naissance et disparition. Désir et deuil. La vie et la mémoire.

Et je pense à cette chanson de Damien Saez, J’veux qu’on baise sur ma tombe. Cette intensité-là.

...

Ma créature

Par Arnaud Dandoy

Je m’appelle Arnaud Dandoy. Je suis criminologue au Muséum d’Histoire Surnaturelle, aussi appelé Surnateum — un cabinet de curiosités dédié aux formes anciennes de magie, aux savoirs occultés, aux forces invisibles qui traversent nos civilisations depuis l’aube des temps. Mon métier : élucider des affaires. Certaines trouvent une explication rationnelle. D’autres non.

Ce qui m’attire, ce sont les connaissances interdites. Les mythes. Les légendes. Les superstitions. Tout ce que l’humanité a refoulé, mais jamais oublié. J’enquête dans des univers parallèles, des marges, des zones grises. À la frontière du réel.

De 2013 à 2020, j’ai vécu en Haïti. J’y ai étudié les processus de zombification. J’ai suivi la trace des lougawou — les loups-garous du monde créole. Depuis cinq ans, je vis en Tunisie. J’y poursuis une autre obsession : la possible localisation de l’Atlantide. Une cité engloutie. Un vestige enfoui.

Mais récemment, une autre affaire s’est imposée à moi. Une disparition ancienne. Celle d’une petite fille nommée Elena Adelaïde Shelley, morte à Naples en 1820. Une énigme discrète. Presque oubliée. Et pourtant centrale.

C’est cette enquête que je raconte ici. Une affaire qui m’a conduit dans l’ombre du monstre de Frankenstein. Et peut-être jusqu’à moi-même.