Tunis, 11 juin 2022 (Vous venez d’arriver ? Ce journal se lit comme un feuilleton. Pour bien suivre l’histoire, je vous recommande de commencer par la lettre N°1 en cliquant sur le lien suivant 👉https://tinyurl.com/macreature).
Christian m’a raconté la genèse du roman Frankenstein, quasi aussi célèbre que la créature elle-même.
Tout commence par un volcan en éruption. Le Tambora, en Indonésie. Il crache des tonnes de cendres dans l’atmosphère. Assez pour assombrir le ciel du monde entier. Assez pour faire disparaître l’été. On parle de 1816 comme de « l’année sans été ». Le ciel est plombé. La pluie tombe sans fin sur les rives du lac Léman. Un été morne, suspendu, trempé.
Une petite bande d’Anglais à la réputation douteuse vient poser ses valises près de Genève. Ils fuient Londres. Trop grise. Trop bavarde. Ils cherchent un refuge. Ils trouvent une villa : la Villa Diodati.
Lord Byron, poète scandaleux, y est installé avec son médecin personnel, Polidori. Le poète romantique Percy Shelley les rejoint, accompagné de sa future femme, Mary, dix-huit ans, yeux gris, silhouette frêle, esprit aiguisé. Claire, la demi-sœur de Mary, est là aussi. Enceinte de Byron. Une drôle de troupe. Des dandys brillants, mal vus, subversifs. Des rock stars avant l’heure.
Ils lisent. Ils boivent. Ils parlent de politique, de philosophie, d’athéisme. Et surtout : de fantômes.
Le lac est noir. La foudre découpe le ciel en éclairs. Le tonnerre roule sur les hauteurs. Et dans le salon, les chandelles vacillent. Alors, pour tuer le temps, ils se racontent des histoires. Des revenants. Des esprits. Des choses qu’on ne nomme pas. Et puis Byron lance un défi : écrire, chacun, une histoire d’horreur.
Un jeu. Mary accepte. Avec enthousiasme. Mais au début, rien ne vient. La page reste blanche.
Jusqu’à une nuit d’orage. Autour de la table, on parle de science. Des dernières expériences. Du galvanisme. Et si l’électricité pouvait ramener les morts à la vie ?
La petite bande, un peu grisée par l’opium, finit par aller se coucher. Mais Mary ne dort pas. Elle fait un rêve éveillé.
Je vis l’étudiant blême des arts impies s’agenouiller à côté de la chose qu’il avait créée. Je vis le fantasme hideux d’un homme se lever, puis, par le travail de quelque machine puissante, montrer des signes de vie, et bouger en un mouvement malaisé et à moitié vivant.
C’est là que tout commence.
De cette vision, elle tire un roman. Un mythe dans le mythe. Frankenstein, ou le Prométhée moderne. Un scientifique qui refuse les limites. Un homme qui crée la vie. Et qui rejette sa créature au moment même où elle ouvre les yeux.
Éruption du Tambora en 1815