(Vous venez d’arriver ? Ce journal se lit comme un feuilleton. Pour bien suivre l’histoire, je vous recommande de commencer par la lettre N°1 en cliquant sur le lien suivant 👉https://tinyurl.com/macreature).
Tunis, 22 juin 2022
Je viens de terminer Frankenstein.
Je ne m’attendais pas à ça. Je croyais lire un roman gothique, une histoire de monstre. Mais ce que j’ai trouvé dans ce livre, c’est autre chose. Un vertige.
C’est ça, la force d’un mythe. On y entre par une porte, et on en ressort avec ce qu’on porte déjà en soi. Chacun y voit ce qu’il n’osait pas nommer. Ce qu’il n’avait pas compris avant.
Il y a cette scène. Violente. Quasiment insoutenable. Victor est sur une île, il s’apprête à donner une compagne à sa créature. Une femme. Un double. Une promesse de lien.
Et puis, brusquement, il détruit tout. Avec une rage froide, il lacère le corps en formation. Il disperse les morceaux. Et jette les restes à la mer. Des restes à peine assemblés. Pas encore vivants. Mais déjà là.
Les restes de la créature à moitié terminée que j’avais détruite gisaient éparpillés sur le sol, et j’eus presque l’impression d’avoir lacéré la chair vivante d’un être humain… J’eus la sensation de commettre un crime effroyable, et j’évitai, dans une angoisse frissonnante, toute rencontre avec mes semblables
(Frankenstein, ou le Prométhée moderne (1831, p. 224-225)
Et là, sans prévenir, une image m’a traversé. Celle de ta maman. Silencieuse. Les yeux fermés. Puis ce geste. Simple. Déchirant. Une chasse qu’on tire.
Et avec, disparaît cet amas de cellules, comme on dit. Un mot froid pour une absence brûlante.
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