N°12 - Et tout à coup, Mary ne parlait plus de monstres. Mais de nous.

(Vous venez d’arriver ? Ce journal se lit comme un feuilleton. Pour bien suivre l’histoire, je vous recommande de commencer par la lettre N°1 en cliquant sur le lien suivant 👉https://tinyurl.com/macreature).

Ma créature
2 min ⋅ 16/06/2025

Tunis, 22 juin 2022

Je viens de terminer Frankenstein.

Je ne m’attendais pas à ça. Je croyais lire un roman gothique, une histoire de monstre. Mais ce que j’ai trouvé dans ce livre, c’est autre chose. Un vertige.

C’est ça, la force d’un mythe. On y entre par une porte, et on en ressort avec ce qu’on porte déjà en soi. Chacun y voit ce qu’il n’osait pas nommer. Ce qu’il n’avait pas compris avant.

Il y a cette scène. Violente. Quasiment insoutenable. Victor est sur une île, il s’apprête à donner une compagne à sa créature. Une femme. Un double. Une promesse de lien.

Et puis, brusquement, il détruit tout. Avec une rage froide, il lacère le corps en formation. Il disperse les morceaux. Et jette les restes à la mer. Des restes à peine assemblés. Pas encore vivants. Mais déjà là.

Les restes de la créature à moitié terminée que j’avais détruite gisaient éparpillés sur le sol, et j’eus presque l’impression d’avoir lacéré la chair vivante d’un être humain… J’eus la sensation de commettre un crime effroyable, et j’évitai, dans une angoisse frissonnante, toute rencontre avec mes semblables

(Frankenstein, ou le Prométhée moderne (1831, p. 224-225)

Et là, sans prévenir, une image m’a traversé. Celle de ta maman. Silencieuse. Les yeux fermés. Puis ce geste. Simple. Déchirant. Une chasse qu’on tire.

Et avec, disparaît cet amas de cellules, comme on dit. Un mot froid pour une absence brûlante.

...

Ma créature

Par Arnaud Dandoy

Je m’appelle Arnaud Dandoy. Je suis criminologue au Muséum d’Histoire Surnaturelle, aussi appelé Surnateum — un cabinet de curiosités dédié aux formes anciennes de magie, aux savoirs occultés, aux forces invisibles qui traversent nos civilisations depuis l’aube des temps. Mon métier : élucider des affaires. Certaines trouvent une explication rationnelle. D’autres non.

Ce qui m’attire, ce sont les connaissances interdites. Les mythes. Les légendes. Les superstitions. Tout ce que l’humanité a refoulé, mais jamais oublié. J’enquête dans des univers parallèles, des marges, des zones grises. À la frontière du réel.

De 2013 à 2020, j’ai vécu en Haïti. J’y ai étudié les processus de zombification. J’ai suivi la trace des lougawou — les loups-garous du monde créole. Depuis cinq ans, je vis en Tunisie. J’y poursuis une autre obsession : la possible localisation de l’Atlantide. Une cité engloutie. Un vestige enfoui.

Mais récemment, une autre affaire s’est imposée à moi. Une disparition ancienne. Celle d’une petite fille nommée Elena Adelaïde Shelley, morte à Naples en 1820. Une énigme discrète. Presque oubliée. Et pourtant centrale.

C’est cette enquête que je raconte ici. Une affaire qui m’a conduit dans l’ombre du monstre de Frankenstein. Et peut-être jusqu’à moi-même.